Mise à nue

Il y a une semaine, mon journal intime était encore cet ami silencieux qui n’existait que pour m’écouter. Ses nombreuses pages gardaient discrètement mes plus lourds secrets. Mes inavouables péchés, mes secrètes envies, je lui livrais tout sans nulle crainte. Alors, quand ma mère est tombée dessus dernièrement, ce fut pour elle une découverte des plus perturbantes. Forteresse prit d’assaut, havre de paix troublée! J’étais à découvert. Le contenu de ses lignes avait heurté son âme sensible de fidèle catholique, fervente, pudique mais un peu trop naïve parfois. 

Entre ses mains, mon journal devenait bavard, bien trop bavard. Page après page, elle me découvrait sous un nouveau jour. Ma mère savait à présent combien l’hypocrisie qui trainait fidèlement sur les bancs de l’Eglise m’irritait et à quel point son inlassable discours sur la chasteté pouvait m’exaspérer. Ma mère devait maintenant faire face au fait que les pulsions sexuelles et les désirs charnels qu’elle se plaisait de bannir avaient longtemps pris chair en moi et qu’ils étaient maintenant à leur paroxysme. Elle savait maintenant, qu’un soir, seule dans la chaleur complice de mes draps, j’ai offert à mon corps l’extase et l’ivresse. Le rapport que j’entretenais avec mon corps avait beaucoup changé depuis. Et c’était bien regrettable qu’elle ait été obligé de lire ce journal intime pour découvrir que sa petite fille était devenue une femme sous ses yeux sans qu’elle ne s’en rende compte. 

Tenir un journal intime, c’est renoncer à son intimité. C’est être un livre ouvert, se mettre à nu, se rendre vulnérable. J’en avais la preuve aujourd’hui. S’il est clair qu’elle avait porté atteinte à cette intimité que je croyais inviolable mais au moins, ce journal a su raconter sans détour ce que je n’ai jamais eu le courage de lui dire de vive voix. Elle était furieuse après moi… après elle aussi. Enfin, je crois. En fait, je pense qu’elle s’est sentie à la fois dupée, trahie et stupide. Elle avait le sentiment d’avoir échoué dans sa mission de mère parfaite. Sa petite fille avait disparu, laissant derrière elle une étrangère.

J’aurai bientôt 18 ans et la sexualité reste un sujet interdit entre nous. Ma mère a fini par me faire intégrer qu’éprouver du désir sexuel était honteux et que l’acte sexuel était obscène au point de me faire crever de culpabilité quand l’excitation s’emparait de moi à la vue d’une scène érotique à la télé. Je doute qu’elle soit de mauvaise foi. Elle ne savait peut-être pas la juste manière d’aborder ce sujet comme tant d’autres parents. Donc, elle se lançait dans les interdits catégoriques en utilisant parfois la Bible comme redoutable alliée. Elle était convaincue que sa méthode était la bonne sans se douter que cette dernière, en réalité, laissait à désirer.

Pour parler de sexualité, je pouvais compter sur mon ami Théo. Ami…était-ce le mot juste ? En fait, notre relation était en si constante redéfinition que je préférais ne plus le définir. Théo était juste…THÉO ! Amant de la gym, il avait un corps presque parfait qui le rendait fort attirant. Il était aussi de ceux qui avaient l’esprit ouvert et qui aimait profiter de la vie. Avec lui, je pouvais discuter de tout mais on parlait bien plus de sexe qu’autres choses. Avec le temps, quelque chose d’assez intense s’est installée entre nous. Nous avions envie l’un de l’autre et les textos qu’on s’échangeait tard le soir en témoignait. Je n’arrêtais pas d’avoir mauvaise conscience de m’intéresser au plaisir sexuel et je me reprochais par la même occasion de le désirer autant. Définitivement, il me fallait arrêter ce conflit intérieur qui devenait lassant, exténuant. 

Ce volume de confessions que ma mère détenait à présent lui racontait du coup bon nombre de mes histoires que je n’aurais pas aimé qu’elle sache. Et le coup de grâce fut l’histoire de ce mémorable après-midi avec Théo que j’avais pris le soin de décrire dans les moindres détails. 

«… Depuis des jours, plus rien d’autre ne m’occupe l’esprit. Je n’arrête pas de ruminer ces fantasmes qui viennent peupler mon esprit, les uns plus érotiques que les autres. Théo ! Lui seul prend toute la place et traine avec lui une foultitude de désirs qui me laissent sans répit, assoiffée, affamée. Il faut que je le vois. Absolument !

    Je ne me suis jamais autant souciée de mon apparence. Cet après-midi, je me suis fait belle avant de filer en douce de la maison pour le retrouver. Briser les règles pour une fois me donnait le sentiment de tenir tête à ma mère. Au diable la fille modèle ! Je ne sais pas pourquoi mais il n’était pas trop surpris de me voir débarquer chez lui. Sa sœur sortie bien avant mon arrivée, il n’y avait donc que lui et moi à la maison. Nous avions pris plaisir à boire du vin rouge et à nous faire quelques barres de chocolat en parlant de tout et de rien jusqu’à réduire nos échanges à des regards gorgés de désirs et d’envies.

Il ne m’avait pas encore touché que je frissonnais déjà sous l’effet de ses yeux qui me déshabillaient lentement, qui me caressaient, qui m’aimaient. Troublantes sensations ! Quand il s’approcha de moi de pas fermes et rassurés tout en soutenant mon regard, je sentis mon corps s’embraser. Puis, d’une approche adroite, Il frôla tendrement ses lèvres aux miennes, elles se faisaient la cour dans une ballade capricieuse puis firent une agréable collision pour ensuite se mélanger, se perdre, se confondre, s’enlacer jusqu’à se promettre l’éternité. Lorsque ses lèvres se perdaient au creux de mon cou, je me sentais perdre mes moyens. Doux péché ! Délicieuse luxure ! Me sentant encore hésitante, il me prit par la taille pour me coller encore plus contre lui. Nos corps se faisaient à présent complices dans cette enivrante aventure. Ils posaient sur moi ses mains d’artiste qui avaient l’illustre talent de redessiner mes courbes avec une sensualité sans égal. Agréable perversion ! Aphrodisiaque ! Elles racontaient à mon corps une nouvelle histoire, belle, féerique, érotique. Mes lèvres, mes seins, mon sexe, tous répondaient à l’appel. Et nous nous laissions entrainer par cette douce vague. Nous nous abandonnions dans les bras l’un de l’autre dans une danse lascive au rythme de nos tours de reins et de nos va et viens voluptueux me rendant avide de désir, de plaisir jusqu’à me faire déchirer, par de douces plaintes, le profond silence dans laquelle la pièce s’était longuement assoupie… »

    C’est sans doute cette histoire avec Théo qui a été la goutte qui a fait renverser le vase. Encore en rogne contre moi, ma mère m’a trainé une fois de plus à l’Eglise. Elle veut que je demande pardon à Dieu, que je fasse amande honorable pour l’offense que je lui ai faite en commettant cet acte impudique et indécent. Et justement, j’ai fait mon mea culpa :

  • -Mon Dieu, pardon de n’avoir pas été honnête envers moi-même. Pardon d’avoir eu honte de mes désirs et de les avoir trop de fois refoulés. Pardon d’avoir gouté si tard au  plaisir de la chair et d’avoir tant de fois ignoré cet appel à la jouissance et à la volupté. Pardonne-moi d’avoir si longtemps privé mon corps des somptueux ébats qu’il mérite… 

Marlie Sarafina JEAN, Pergolayiti

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